Norvège - entre ski et voile (Episode 2)
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Temps de lecture 11 min
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C’est à bord du Helt que j’ai passé mon printemps 2025. Un séjour qui me semble en avoir duré bien plus. Une plongée dans un univers magique que je croyais disparu. Celui du bois, des flammes, des voiles, du goudron d’arbre et d’huile de lin, d’odeurs inconnues. Un saut dans le temps. Le Helt, (Héro en norvégien) est considéré comme un vieux gréement historique : il a démarré sa vie dans les fjords en 1932, il y a presque un siècle.
Je vous propose donc, à travers ces quelques lignes, et le visionnage de quelques images, de vous plonger dans cet univers si particulier.
Long de 28 mètres et large de 10, la capacité de chargement du Helt est de 200 tonneaux. Avant d’être habité par des skieurs, le Helt a transporté de la marchandise. D’abord du sable, puis des homards, puis à nouveau des matériaux de construction. Ce n’est que sur le tard que le Helt a été aménagé pour accueillir du public. Lorsque son ancien propriétaire décède, croulant sous les dettes, la banque hérite du bateau. Ne sachant qu’en faire, il est destiné à être coulé, abandonné. Ulysse, son capitaine, l’a sauvé d’une mort certaine en 2023, en lui insufflant une nouvelle vie. La 10 ème , 100eme ? Allez savoir !
Mais impossible de raconter cette histoire sans vous parler du capitaine du navire (vous connaissez déjà son nom de l’épisode 1). Ulysse (on aurait difficilement pu trouver un prénom plus adapté pour parler d’un capitaine) est un breton de 38 ans, passionné par les vieux gréements. Pour lui, la navigation se passe sur des bateaux en bois et rien d’autre. Au point qu’il est parfois difficile de savoir s’il n’est pas tout droit débarqué d’un siècle antérieur au nôtre. Après plusieurs années passées sur les chemins du monde (des mers d’Australie aux tatamis de nombreux pays d’Asie), Ulysse acquiert un premier bateau, le Lun II, sur lequel il traversera les océans pour faire du fret (rhum, café et autres mets précieux) entre le vieux continent et les Antilles. Il se passionne aussi pour la cuisine. Plus tard, en 2023, il arrache donc le Helt à un destin funeste et le réadapte pour la pratique du ski voile, pour notre plus grand bonheur ! Grand frère spirituel du Lun II, c’est à son bord que nous vivrons cette aventure au printemps 2025.
À bord, j’ai vu défiler nombre de visages ébahis et de sourires émerveillés ! La première semaine, ce sont 12 skieurs venus de toutes les Alpes qui feront partie de notre équipage. Le premier à bord, Michel, a la chevelure grise. Pourtant, ses yeux pétillants et rêveurs sont ceux d’un petit garçon ! Il redécouvre les sensations de son enfance, lorsqu’il découvrait la navigation sur les vieux gréements. Il est « comme un gosse ». Et nous, avec tout l’équipage, si heureux de voir Michel découvrir avec émerveillement le bateau, mais aussi ses compagnons de bordée pour la semaine. Tous venus avec de la hâte, de l’envie, et aussi quelques appréhensions : en effet, les participants ne se connaissent pas. Pourtant, après quelques minutes seulement, un joyeux brouhaha anime le carré et la magie opère.
Tous savent qu’en choisissant le Helt, ils ont choisi une aventure pas comme les autres, avec un autre rythme, une autre cadence. L’ambiance est familiale, ou chacun se tutoie dès la première minute. Le bois, le coton, le seau d’eau remplacent avantageusement les marbres, systèmes automatisés et autres gadgets qui cassent que l’on retrouve sur les autres bateaux. Rustique, mais charmant, authentique, mais pas sans confort, loin de là.
Le soir même, nous appareillons. Le bateau quitte le quai du port de Tromsø pour une navigation d’une semaine autour des Alpes de Lyngen et toutes les îles satellites de ce massif. L’excitation est à son comble. Le ciel nous gratifie d’aurores boréales en pleine navigation. Les consciences s’éveillent et chacun trouve derrière ces lumières dansantes et vertes dans le ciel la signification qui lui convient. Pour moi, c’est la promesse d’un séjour hors du temps, hors des sentiers battus, un feu vert pour l’Aventure avec un grand A !
Tous les jours, nous sommes réveillés par le crépitement du feu et l’odeur du lard et des œufs fument sur la cuisinière. Les skieurs pointent le bout de leurs nez derrière le rideau de leurs bannettes et Kevinn, le second de l’équipage, s’empresse d’animer l’ambiance en glissant sa compilation de musiques brésiliennes.
Après un petit-déjeuner copieux, les skieurs s’habillent, enfilent leurs chaussures. Ulysse, lui, est en train de pétrir son pain et d’élaborer les sandwichs du jour, toujours avec le souci du détail. Une fois les pic-nics au fond des sacs et les thermos remplies, on sonne la cloche en laiton accrochée au mât d’artimon sur lequel on peut lire l’inscription : “HELT - 1932”. Tout le monde sur le pont !
Les skieurs sautent dans leurs gilets de sauvetage orange vif, chargent les skis et bâtons sur les deux annexes gonflables. Puis, chacun son tour, monte à bord. Instant suspendu lorsque nous nous élançons à pleine vitesse sur les petites embarcations gonflables : derrière nous, le Helt, magnifique au lever du soleil, presque immobile. Devant nous : la plage, la neige fraîche posée sur le sable, la montagne. Une nouvelle aventure commence. Une de plus !
Une fois sur la plage, les peaux de phoques sont collées en prenant grand soin de ne pas embarquer du sable, les chaussures de ski en mode montée, mais attention à ne pas mettre un pied dans l’eau ou de glisser sur une algue !
La procession de skieurs est en route pour quelques heures de montée. Au bout de quelques dizaines de minutes seulement, nous commençons à voir la mer, au pied de la montagne. Puis, nous continuons notre ascension vers le sommet. En Norvège, la quantité de neige augmente exponentiellement vite : au bout de 500m de dénivelé, nous commençons à observer des effets du vent, des accumulations de neige, parfois des plaques à vent. Dans les Alpes, les bulletins d’avalanches mettent en garde pour des altitudes bien supérieures : 2000, 2500… Ici, 400m suffisent parfois même moins. Alors la vigilance est de mise. Particularité locale également, les vents sont tellement puissants et la neige a une cohésion importante. On observe donc aux abords des crêtes et des sommets des corniches qui peuvent être monstrueuses.
Au sommet donc, la vue à 360° sur un mélange de mers et de montagnes est poignante. En observant bien, on peut voir une majorité des itinéraires que l’on parcourra les prochains jours, ou que l’on a déjà parcouru.
Le plus souvent, comme pour le Storegalten ou le Uløytinden, l’itinéraire est en traversée. Pendant que nous autres skieurs prenons plaisir à gravir la montagne, le Helt et son équipage lui a déjà levé l’ancre pour faire le tour de la terre, ou de l’île. Ainsi, nous pourrons profiter d’une descente différente de l’itinéraire de celui de la montée. Nous traversons le sommet pour retrouver notre navire de l’autre côté. C’est l’aventure, la découverte. Le plaisir ? Certes ! Mais pour les guides, c’est aussi une source de questionnement. Il faut s’assurer en tout premier pouvoir jauger la qualité de la descente « à vue », c’est-à-dire sans l’avoir vue à la montée. Il faut improviser, estimer, s’orienter.
« Helt, Helt, Helt de Bastien, Bastien, Bastien, me recevez-vous ? ………. Bastien, Bastien, Bastien ici Helt, Helt, Helt, je te reçois fort et clair. Comment ça va là-haut ? Vous vous amusez bien ? ». La voix du capitaine retentit dans ma radio. Douce sensation que de savoir que le reste de l’équipage nous attend au pied de la montagne, dans notre navire camp de base, avec un chocolat chaud et un feu tournant à plein régime.
La glisse, enfin. La joie de chacun se lit sur les visages. Les sourires ébahis des skieurs dévalant les pentes de neige immaculée, vierge, légère sont autant de récompenses aux efforts fournis à la montée. Parfois, une nuée de lagopèdes s’envole, parfois, c’est un renne qui traverse juste sous nos skis… La faune norvégienne s’accorde pour nous offrir des moments de rêve éveillé. Vallons suspendus, glacier majestueux, forêts de bouleaux, tous types de terrains s’offrent à nous pour le plaisir de nos spatules et de nos yeux rieurs… Plus que quelques virages et nous apercevrons le bateau, là, devant nous.
Après quelques pas de patineurs et une ou deux traversées de ruisseau (cette année les cours d’eau n’ont presque pas été recouverts), nous arrivons finalement sur la plage, dans un parfait « bout du monde ». Le léger clapot est le seul bruit qui trouble le silence régnant sur l’estran. Kevinn arrive lancé à pleine vitesse sur l’annexe. Déjà, les effluves de feu de bois se révèlent à nos sens. Une fois les « rembarques » effectuées, les organismes se relâchent, c’est le moment pour chacun de se détendre, se changer, se réchauffer. Attablés autour d’une belle pile de crêpes, les skieurs se rappellent les hauts faits du jour : les meilleurs virages, la plus belle gamelle…
Puis tour à tour, nous enfilons nos maillots de bain pour nous glisser dans l’eau brûlante du bain norvégien, sur le pont du bateau. Mais avant ça, le capitaine nous gratifie du traditionnel saut d’eau de mer glacée ! Les plus hyperactifs pêchent, et certains s’octroient quelques bords à la voile légère sur la petite barque à voile des années 1920 : un petit bijou de bois et de coton que nous avons pris soin de restaurer en début de saison. Sensations garanties !
Puis, un temps calme et le bateau fait route vers la prochaine destination… Les fourneaux sont chauds, le pain sort du four, les gigots sont ficelés par la main du chef. À bord, tout est conçu à la main, artisanal. Pas de recette, mais que d’improvisation éclairée ! Les guides planchent sur les meilleurs itinéraires du lendemain, les skieurs roupillent dans les bannettes.
Le soir, lorsque les lumières sont éteintes et que les chandelles sont sorties, c’est le rituel : nous mettons une grande tablée pour tout l’équipage. Les symphonies de Bach et Mozart font, elles aussi, partie de cette tradition. Pas de tablée sans un bon classique. Les soupes, les herbes, les rôtis, les gigots, les miches de pain frais, poissons en croûte, légumes marinés grillés se succèdent, se superposent pour constituer une table digne des festins d’Astérix. Ce n'est que le soir que tout l’équipage se retrouve. Les marins racontent leurs histoires de mers aux montagnards et vis-versa. Enfin, après une longue et belle journée qui a paru en durer plusieurs, chacun regagne son nid de plumes douillet pour la nuit, l’esprit déjà dans les étoiles.
Chaque journée qui passe est une aventure. Notre liberté d’action avec le Helt et l’équipage nous permet de tout imaginer, tout envisager. Et c’est ça que j’aime venir trouver à bord !
Durant ce mois d’avril, plusieurs équipes se sont succédées à bord. La deuxième était composée d’une partie de l’équipe de France de ski-alpinisme. Avec elle, le globe de cristal fraîchement remporté par Thibault Anselmet à Tromsø quelques jours plus tôt. Thibault n’a d’ailleurs pas boudé son plaisir en le remplissant de bière !
Mon ami Symon (Welfringer) lui aussi fait partie du voyage. Ensemble, nous avons pu nous adonner à notre passion commune de « la poutre », célèbre petit outil en bois servant aux grimpeurs à se suspendre pour entretenir et même accroître leur force de doigt. Cette semaine, les journées ne comptaient plus double, mais quadruple : à un rythme effréné de 2000 à 3000 mètres de dénivelé journalier, l’équipe avale les sommets deux par deux.
Léo Viret, le coach de l’équipe de France de ski-alpinisme et guide à bord du Helt avec moi se réjouit : « mon gars, des journées à ce rythme-là avec des clients comme ça, ce n’est pas tous les jours !! ». Lunaire. C’est l’adjectif qui revient sans cesse dans sa bouche. Le bougre n’est pas perturbé par la cadence de ses poulains. Il tire profit des rares moments de pause pour sortir son appareil photo. Nous profitons de ce potentiel pour explorer les recoins que l’on avait repérés les saisons précédentes.
Les deux mascottes de notre équipe, Cerise et Prunelle, les deux jumelles de 7 ans du capitaine, elles aussi, ont su apprécier la fougue de cette équipe : grâce à un bricolage en corde et en bois confectionné par leur père, les deux filles sont tirées par leurs montures (Gédéon Pochat en cheval de trait) comme sur un téléski. Qui pourrait imaginer faire ses premiers virages et apprendre le ski au-delà du cercle polaire sur une île du bout du monde au doux nous évocateur de Uløya ?
Les semaines se suivent et ne se ressemblent pas. L’équipage suivant est composé d’une bande de copains, dont l’un des membres était au lycée avec moi. Nous avons le plaisir de nous retrouver après tant d’années. L’amitié ne vieillit pas. Nous skions, rions, vibrons à l’unisson. Cette semaine, l’équipage compte un nouveau membre : Sam est skipper, capitaine sur d’autres bateaux. Il est à l’origine d’un projet de rénovation d’un immense voilier de 1904 à Copenhague, au Danemark, le Hawila (allez jeter un coup d'œil à son projet !). À bord d’un tel navire, tous les océans de la planète sont à portée de main ! Nous passons des soirées entières à rêver d’expéditions encore plus lointaines… Svalbard, Groenland, Antarctique, Géorgie du Sud, des noms évocateurs, chargés de mystère. Arriverons-nous à aller jusque dans ces contrées extrêmes ? L’avenir nous le dira !
Cette année encore, la simplicité, l’authenticité, la passion de chacun et les joies partagées ont contribué à la magie si difficile à décrire avec des mots. Nous avons vécu un retour à l’essentiel, une parenthèse de vie choisie. Magique.
J’espère qu’à travers ces quelques lignes avoir pu vous transporter un peu avec nous. Et vous, ça vous tente de partir à l’exploration du grand Nord ?