Pédaler au 7e degré : astuces pour cyclo-grimpeurs intimidés (ou non)
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Temps de lecture 11 min
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Moi c’est Christelle, je suis la grimpeuse lambda : je flirte avec le 7e degré, je suis trop polyvalente pour être vraiment forte, j’ai un métier à plein temps et du matériel pas toujours optimisé. J’ai un carnet de croix qui comprend de belles voies et de belles blessures aussi. En 10 ans de pratique de l’escalade et 5 ans de pratique de l’alpinisme, j’ai cependant admis, que quoiqu’il arrive, je finis par revenir chercher la richesse de ces pratiques tant en esprit d’équipe, qu’en rapport à la nature, et positionnement politique sur comment nous décidons d’occuper notre temps libre. En bref, grimper me rend heureuse !
Ça fait seulement 5 ans que je suis propriétaire d’une voiture, avant ça, j’étais citadine et pas motorisée (en plus je bénéficiais des réductions de la SNCF donc aller partout en train me paraissait logique). Puis est venue la trentaine, l’installation à la montagne, et l’achat d’un véhicule à moteur. Je l’avoue, au départ, ça a signifié pour moi la liberté totale d’aller où je veux quand je veux. Puis petit à petit, changement de domicile et de lieu de travail, le train s’est de nouveau imposé pour mes trajets quotidiens et j’ai réalisé la joie de ne plus bouger ma voiture tous les jours.
Repenser ses trajets de travail c’est une chose, repenser ses trajets de loisirs en est une autre. Si ça fait déjà des années que j’évite l’avion par conscience environnementale, voiture et van se sont imposés comme transport et gîte de vacances les plus évidents sous les falaises de toute l’Europe. Puis l’idée a germé : si on allait grimper en vélo ? vélo + train ? On a commencé par beaucoup de train et peu de vélo : traversée du Pays de Galles du Nord au Sud à coups d’Eurostar et d’environ 400km de vélo pour 10 jours de grimpe effective. Ont suivi les routes du quart sud-est de la France, dans un voyage très Mussatto-centré sur les parois calcaires de pré-alpes (Bauges, Chartreuse, Vercors, Verdon) avec 8 jours de vélo pour 10 jours de grimpe effective. Il ne manquait plus que de tester les falaises sportives de ce même morceau d’Hexagone : Céüse et Saint Léger du Ventoux avec un ratio 1 jour de grimpe par jour de vélo.
Ça implique quoi de voyager vers les falaises à vélo ?
Si vous êtes cyclistes vous n’apprendrez rien, si vous êtes grimpeurs : soyez attentifs !
Le biclou : on a testé deux écoles : le vélo de route et le gravel équipé voyage. C’est le second qui gagne. Selon vos jambes (les miennes sont des jambes de grimpeuse occasionnellement skieuse avec une caisse de poisson rouge) pouvoir mouliner aide beaucoup surtout dans les montées chargées.
Les sacoches : une sacoche arrière de vélo c’est 25L (fois deux ça fait 50L ce qui est un bon sac de voyage) auquel vous ajoutez facilement un sac de grimpe (de 30 à 40l posé sur le porte-bagage). Il n’en faut pas vraiment plus. Le défaut de ce système est qu’en cas de côte trop raide, le vélo se cabre un peu. Mais en cas de côte trop raide, on préfère ne pas être là, donc ça ne fonctionne pas trop mal (éviter les pentes à plus de 10%). Le seul besoin de sacoche avant a été lorsqu’on a ajouté un passager clandestin : le chien qui ne porte ni ses croquettes, ni sa gamelle, ni son eau.
Le matos de grimpe : corde à double ou à simple il faut choisir ! Seule j’ai pu transporter 60m de corde de couenne et 15 dégaines. Ça oblige à choisir ses voies et faire un nœud au bout de la corde, mais ça laisse pas mal de choix sur les falaises françaises. Avec ça, un baudrier, un grigri, trois mousquetons (et même mon matos de grande voie qui a dormi au fond des sacoches). J’avais oublié la brosse : grossière erreur pour faire de la couenne, et gain de poids ridicule ! Brosser ses prises, enlever ses tickets, et rendre la voie propre : autant de bonnes pratiques qui m’ont fait mendier une brosse sous chaque falaise.
La tente et de quoi dormir : une tente pour deux qui pèse environ deux kilos, ça se trouve facilement. C’est rarement le volume qui manque donc on a l’embarras du choix. Voyageant en avril, j’avais un petit sac de couchage, mais j’ai regretté le gros duvet de montagne qui serait largement rentré dans mes sacoches (à la place de ma quincaillerie inutilisée). Pour le matelas, ça dépend du niveau de confort recherché.
Les fringues : une tenue pour rouler (l’investissement indispensable c’est le bon cuissard), une tenue pour grimper, et une tenue pour dormir. Ajouter un short s’il fait chaud ou un legging en plus s’il fait froid, trois paires de chaussettes (de forme et chaleur différentes), trois culottes, trois brassières, et une paire de tong ou une paire de chaussons chauds s’il fait chaud ou froid.
De quoi manger : pas besoin de faire des courses en avance, on ne portait que de quoi manger pour une journée. Et un réchaud, popotte, briquets, éponge.
De quoi être propre : une serviette et un savon universel suffisent, mais on peut ajouter un peu de crème hydratante pour entretenir la peau des mains et dans mon cas du démêlant à cheveux (pour éviter les dreads).
Et pour la sécurité : un casque d’escalade pour grimper et rouler ou de vélo pour rouler et grimper ; une trousse de secours (voir intro pour le carnet de croix des blessures du grimpeur qui apprend à faire une belle trousse), des lumières et un antivol pour deux. Ah oui, n’oubliez ni vos gants ni vos lunettes de soleil, en toute saison !
Ça vous donne (sans le chien) un chargement de 15kg par vélo environ. Des cyclo-voyageurs en portent 25 ou plus, donc vous avez dans les jambes de quoi braver les cols des préalpes et les routes et chemins raides qui mènent aux falaises (clin d’œil à la piste de Ceüse, tellement plus drôle à descendre qu’à monter).
On pédale combien et on s’arrête où ? A chacun sa réponse. Dans mon cas, une journée normale se situe entre 60 et 120km et ne dépasse pas 1500m de dénivelé. Et c’est avec la météo qui va bien ! Mais mon calcul après quelques expériences est que passer plus de 6h en selle fait mal au corps et au moral, donc faites des pauses et ne prévoyez pas de trop grosses étapes. Il est aussi très sympa de s’arrêter chez des copains, ce qui évite de sortir la tente et qui permet une soirée à penser à autre chose qu’au contact de la selle sur notre délicat derrière.
Au-delà de la longueur et du dénivelé, parlez aux locaux : ils vous conseilleront les meilleures routes en fonction de la raideur et de la fréquentation par les automobilistes (dans la Drôme préférez le Col de Cabre à celui de la Croix Haute par exemple).
La plupart du temps on est très bien accueilli à vélo, les gens acceptent de remplir la gourde chez eux s’il n’y a pas de fontaine, on vous indique la meilleure boulangerie, on vous garde les vélos sur la terrasse du café… C’est un des avantages de ce mode de transport : on reconnecte aux territoires qu’on traverse. On achète local, on maudit les jours de fermeture de la boulangerie mais on bénit ceux de marché, on est au PMU en même temps que les habitués et on passe le plus loin possible des grandes zones commerciales donc on aide le petit commerce.
Le seul hic : il n’y a pas d’appli miracle. Googlemaps est raisonnable sur le calcul des km mais vous enverra sur des chemins pas très carrossables (d’où la préférence pour le gravel, même s’il souffre lui aussi sur certains itinéraires) ; komoot pense vélo et degrés de pente mais délire les amplitudes de dénivelé (le matin au calcul de l’itinéraire ça fait très très peur !) ; strava calcule les bonnes distances et dénivelés mais a posteriori pour la version gratuite, ça aide juste à juger les autres applis. Le mieux reste encore de suivre les itinéraires balisés vélo comme la boucle du Haut-Buëch qui nous a enchantée ou encore la Bella Via qui lie plus ou moins Annecy, Albertville et Grenoble. Cherchez les panneaux vert et blanc et craignez les panneaux qui annoncent un col : s’il y a un panneau vélo, c’est que c’est un col remarquable typé Tour de France et vous allez monter raide, dur et longtemps avec les sacoches. D’ailleurs, les vitesses de toutes les applis sont calculées sur la base de la majorité des utilisateurs : à savoir les cyclistes de route. Toutes les 5h ajouter au moins une heure de vélo + des pauses si vous êtes chargés.
Rappelez vous aussi que si vous galérez avec la tente, il y a souvent de charmants petits gîtes et villages sous les falaises françaises, tout ce matériel en moins vous enlèvera des kilos et de la logistique à prévoir.
Une erreur que j’ai moi-même commise est de penser que l’on fait du vélo quand les condis sont mauvaises pour la grimpe et de la grimpe dans des condis pas bonnes pour le vélo…C’est faux ! Le vent qui emmêle les cordes va aussi vous empêcher d’avancer à vélo ; la pluie qui détrempe les voies va rendre votre journée de vélo misérable ; et la canicule qui transforme les falaises en four va brûler le bitume sur lequel vous pédalez, et vous aussi ! En cas de tempête annoncée, d’orage violent ou autre événement météo extrême (froid ou chaud), mettez-vous à l’abri dans un train, sous un préau, chez des amis, ou tout simplement : ailleurs ! Un peu de tout ça est supportable mais par exemple un épisode de Foehn tel qu’on a eu ce printemps peut multiplier par deux le temps de trajet sur une distance du type Albertville-Grenoble. Vous me direz que dans ce cas-là vous serez mieux dans votre voiture : sachez que ce type de vent démultiplie aussi sa consommation sur un même trajet. Vous aurez moins mal aux fesses mais plus mal au porte-monnaie.
Combien ça coute tout ça ? Le vélo rouge sur les photos est vendu accessorisé en l’état 700eu tout neuf. Vous pouvez payer plus (des freins à disques, des pédales automatiques…). Le mien c’est de la troisième main, donné par une amie généreuse parce qu’elle ne pouvait pas l’emmener dans son déménagement, et il me va bien comme ça. Les sacoches coutent chères neuves mais d’occasion, les trois sur mon vélo m’ont couté moins de 100eu. Là où je me suis ruinée c’est sur le cuissard, seul matériel technique que j’ai acheté neuf. Je fais réviser mon vélo une fois par an pour une trentaine d’euros et je lui ai attaché une frontale décath’ (15eu) et une petite lampe arrière rechargeables.
Il ne reste qu’à payer votre nourriture, un camping de temps en temps, et le train quand vous sautez dedans : j’estime ça à un quart de ce que vous auriez dépensé en voiture pour le même trajet (essence + péage). En bref, c’est un bon moyen de voyager quand on est ruiné et le matériel dur assez longtemps pour être largement amorti !
Je ne vais pas vous mentir, grimper après avoir tout donné sur son vélo pendant plusieurs jours demande de remobiliser les bons muscles et son corps dans deux activités peu complémentaires. Des personnes de haut-niveau très inspirantes parviennent à allier projet max en grimpe avec trajets à vélo (@ Eline le Menestrel ). Mais à mon échelle, si en grande voie j’ai réussi quelques performances étonnantes, ce n’était jamais le jour suivant le trajet. Je conseillerais d’ailleurs de faire un jour de repos après le bloc de journées de vélo. Mais on est tous pareils, on meurt de faim quand on arrive en falaise, surtout si la météo annonce bientôt de la pluie qui sera parfaite pour un jour de repos.
Du coup, s’accorder du repos est bénéfique. Et aussi envisager de manière réaliste ce qui est faisable avec le matériel transporté. Par exemple si vous avez 15 dégaines à St Léger du Ventoux, dites-vous bien que vous allez partager les voies avec votre binôme. Dans notre cas, ça voulait dire focaliser sur des voies qu’on allait faire rapidement toutes les deux plutôt que de s’acharner dans des projets sur plusieurs jours. Après, vous pouvez compter sur la bienveillance de la communauté grimpante et sur la régularité de la grande migration des grimpeurs au printemps et en automne : à Ceüse ou St Léger, avec ou sans rendez-vous, vous retrouverez des copains, ou au moins une communauté qui souvent est bien prêteuse et vous laisse grimper sur les dégaines pendues dans un projet (clin d’œil au Jardin Singulier qui incarne de la plus belle façon cette grande famille).
En conclusion, lancez-vous ! J’espère que ce récit lève les freins pour tenter l’aventure et vous aura donné les clés pour vous essayer d’aller grimper en pédalant. Et s’il vous reste des questions, vous pouvez me les poser !
Crédit photo de l'image principale : Hugo Schleicher
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