Tiphaine Dupérier sur le versant RUPAL du Nanga Parbat (8126m)

Écrit par : Enora Gelot

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Temps de lecture 9 min

Du 1er Juin au 15 juillet 2024, Tiphaine Dupérier, membre de la Lagoped Family,  alpiniste et skieuse hors paire, cherche à réaliser la première descente à ski du versant Rupal du Nanga Parbat (8126m), accompagnée de son acolyte Boris Langenstein. Elle nous livre le récit de son expédition.

“Salut Christophe, Nous voilà de retour à l’Internet. L’expé est terminée et nous rentrons sans sommet. Une météo instable et sûrement une mauvaise décision nous a fait faire demi tour à la deuxième tentative. Sur ce coup je regrette de ne pas avoir su m’engager plus, cela nous aurait peut être donné une occasion de tenter le sommet une seconde fois. La première tentative (avec David Goettler) nous avons atteint 7600m, mais une acclimatation moyenne et une loooooongue dernière journée nous ont tués ! Voilà, je suis bien décidée à retenter l’année prochaine avec Boris et David (Goettler). La descente est juste incroyable et il en manque un bout. “

Tiphaine Dupérier, 12 juillet 2024, Whatsapp

Alpinisme Nanga Parbat Tiphaine Dupérier
Versant Rupal du Nanga Parbat par la voie Schell, annoté par Tiphaine Dupérier

"« Api ! Six Api ! We need a six ! » Musa regarde attentivement le dé s’arrêter sur le carton. Pas de six. Depuis quelques jours, le Ludo est devenu un bon moyen de tuer le temps au camp de base. Nous sommes à 3500m, au pied du versant Rupal du Nanga Parbat et il fait chaud, assez pour que la tente mess soit l’endroit idéal pour une partie de petits chevaux. On pourrait croire que la réussite à ce jeu est due au hasard, mais sans stratégie, impossible d’avancer sans perdre ses pions. La comparaison avec notre présence ici au Pakistan ne m’est pas apparue au premier lancer de dé. Ce n’est que lorsque nous redescendons de notre deuxième tentative, avec une veille amertume au fond du ventre que je réalise que là non plus, je n’aurais pas fait le six rêvé et que pire encore, je n’ai peut être pas eu la bonne stratégie."

Le Nanga Parbat, la montagne nue ou la montagne tueuse

Au Pakistan, on peut traduire le nom de la montagne Nanga Parbat par la "Montagne Nue", même si elle est aussi appelée “la Belle au Bois Dormant”. Pourtant, sa réputation n’est pas si féérique, puisque depuis 1937, elle a acquis une notoriété plus sombre après la disparition de 7 alpinistes et 9 sherpas. Elle est devenue la “Montagne tueuse”. Cette histoire, Tiphaine Dupérier la connaît, elle écrit :

"Le projet est de réaliser la première descente à ski du versant Rupal du Nanga Parbat, neuvième plus haut sommet du monde. Haute de 4500 mètres, cette face traîne une sale réputation, de montagne tueuse assortie d’intentions maléfiques. Mais comme le souligne justement Pierre Chapoutot dans un document très complet sur ce sommet : « Ici comme ailleurs, ce n’est pas la montagne qui tue : ce sont simplement les modalités de son approche qui accroissent ou diminuent les risques d’enregistrer des pertes. » (Pierre Chapoutot, Nanga Parbat Recto-Verso. Cimes 2003)"

Alpinisme Nanga Parbat Tiphaine Dupérier
Nanga Parbat la tête dans les nuages

Le Nanga Parbat, qui est gravit pour la première fois à l’été 1953 par une expédition austro-allemande, est donc le deuxième sommet le plus haut du Pakistan après le K2. Le sommet possède trois faces gigantesques : la face est de Raikot, la face ouest de Diamir et la face sud de Rupal.


Pour cette nouvelle expédition avec son ami Boris Langenstein, Tiphaine Dupérier a choisi le versant Rupal, la voie la plus difficile du Nanga Parbat. La face Rupal du Nanga Parbat, est la plus haute du monde, elle s'étend sur plus de quatre kilomètres verticaux depuis le sol. Ce versant n’a pour le moment jamais été skié, et commence à être convoité par les meilleurs skieurs, à commencer par Tiphaine Dupérier et Boris Langenstein.


Tiphaine Dupérier et Boris Langenstein, se connaissent bien, il ne s’agit pas de leur première expédition ensemble, et de loin ! Ensemble, les deux guides ont déjà signé les premières descentes à ski du Laila Peak (6096m), du Spantik Peak (7027m), ou encore du fameux Nanga Parbat (8126m) par le versant Diamir.

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Crédit : Boris Langenstein

Arrivée au pakistan et acclimatation

Le duo de skieurs a quitté la France le 1er juin, direction le Pakistan, une région désormais bien connue de Tiphaine Dupérier et de Boris Langenstein. Pour autant, l’acclimatation reste une étape importante.

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Crédit : Boris Langenstein
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Crédit : Tiphaine Dupérier
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Crédit : Boris Langenstein

"Notre stratégie donc. Tout d’abord, l’acclimatation. Arrivés le 4 Juin au camp de base, c’est le début d’un processus hasardeux de montées en altitude, avec toujours cette même question : « tu crois qu’on est bons ? ». Pour cette première partie, nous zonons sur les sommets opposés au Nanga. Les conditions nivologiques ne sont pas celles que l’on souhaiterait, tout comme la météo qui commence à faire mentir les prévisionnistes. Malgré tout, et dans des conditions à la limite de nos règles, nous skions l’arête nord du Rupal Peak, en s’arrêtant sous le sommet rocheux à presque 5500m. Pour pouvoir prétendre faire un 8000, une montée à 7000 et des nuits à plus de 6000m sont nécessaires. Dans cette région du Nanga Parbat, nous n’avons pas d’autres choix que de monter sur le monstre (le Nanga) pour atteindre ces altitudes. Après trois nuits à 6000 et une montée à 6700, le 20 Juin, nous assumons que notre acclimatation est terminée, sans avoir coché ces pré requis. Car les prévisions météo nous incitent à tenter. Elles sont ce qu’elles sont, mais c’est de loin les meilleures que nous avons eues !"

Une nouvelle équipe pour réussir la descente à ski du versant Rupal

"La voie Schell est celle que nous envisageons. C’est la plus « facile » de ce versant. C’est aussi la première fois que je pars sur une voie qui passe de l’autre coté de la montagne, ce qui lui donne un caractère terriblement engagé. Nous allons découper la montée en trois camps : le premier à 6000m, le deuxième à 6800 et le dernier à 7400m. Pour cette première tentative, nous faisons équipe avec David Goettler (auteur d’une ascension de l’Everest sans oxygène en 2022). C’est son quatrième essai sur cette voie. David a un timing serré et nous devons profiter d’être trois pour être plus solides."

Alpinisme Nanga Parbat Tiphaine Dupérier
Photo d'équipe avec Tiphaine Dupérier et Boris Langenstein sur la gauche

Au pied du Nanga Parbat, Tiphaine et Boris rencontrent David Goettler, un habitué du Nanga Parbat et du Rupal. En 2023, il visait le sommet aux côté de Benjamin Védrines, mais une mauvaise forme d’une journée les incite à faire demi-tour et faire primer l’esprit de cordée sur l’ambition du désormais détenteur du record d’ascension du K2 sans oxygène.


Cette année, il a fait équipe avec Mike Arnold pour venir à bout de cette voie qu'il lui tient à coeur de réussir. Après son départ, l’alpiniste américain reconnaît que la face Rupal est “difficile à voir d'un seul coup d'œil. Il faut s'arrêter et passer du temps, d'est en ouest, à scruter cette monstruosité”. Mike Arnold explique notamment que “cette montagne exige tout et une fenêtre de 4 à 5 jours était nécessaire pour monter et descendre sans supplément d'O2.” Il fini par remercier son compagnon de cordée et souhaiter une bonne ascension à la nouvelle cordée : Tiphaine, Boris et David.

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Crédit : Boris Langenstein

Une première tentative d'ascension à trois

Le premier jour, les trois alpinistes naviguent entre les orages et les conditions de neige presque parfaites. “Le 26 Juin, le compteur est à 0 au camp de base, il est 01h30. Jusque 6000m, la neige porte et c’est presque agréable. Au delà, c’est autre chose. On pédale dans une neige profonde et sans raquette l’ascension est vouée à l’échec.” 

Alpinisme Nanga Parbat Tiphaine Dupérier
Crédit : Boris Langenstein
Alpinisme Nanga Parbat Tiphaine Dupérier

Après le premier camp, la cordée est ralentie par une neige épaisse mais peut compter sur chacun de ses membres pour se relayer et atteindre le camp suivant. “Entre le camp 1 et le camp 3 c’est déjà une petite guerre intérieure alors on ose à peine imaginer ce que cela va donner plus haut… Le moment de la bascule sur le versant Diamir est impressionnant. La sensation d’être sur une autre montagne saisie et donne presque un haut le cœur tellement je sais que le sommet est encore loin. Mais tout est majestueux. Les nuages, on est au dessus. Le camp de base de l’autre côté, on le voit. C’est immense. Allez on se concentre, on a encore du boulot. Il faut maintenant traverser des pentes de neige qui donnent accès à une rampe en mixte qui nous permettra de ne pas perdre d’altitude. Ce n’est pas extrême mais le rocher est mauvais et le tout est exposé. Avec Boris, nous sommes bien défoncés. On sait que notre acclimatation est limite et notre corps nous le fait savoir.” 

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Crédit : Boris Langenstein

Le quatrième jour, le sommet devait être à la portée des trois alpinistes, mais David Goettler reconnaîtra par la suite que “tout semble beaucoup plus grand sur cette montagne”.


"Sans surprise, au bout de cette traversée, nous découvrons la suite avec le sommet beaucoup trop loin pour nos petites jambes, surtout avec cette maudite neige poudreuse. David aussi s’avoue battu. C’est trop loin, il y a trop de dénivelé. Il reste un peu plus de 600m et nous avons fait quelques malheureux 115m en 5h. Comble du skieur, il faut remonter pour rejoindre nos tentes et l’autre versant. Huit heures plus tard, dans un joli brouillard, nous sommes de retour au camp 1, bien fatigués."

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Crédit : Boris Langenstein
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De retour au camp de base, David GOETTLER expliquera qu’il ne sera heureux que s’il escalade cette montagne dans un style qui reste fidèle à ses valeurs. “Il y a toujours une certaine frustration d'avoir consacré tant de temps et d'efforts pour finalement être repoussé sans avoir atteint le sommet, mais je sais que cela fait simplement partie du voyage : cela fait partie de ce que signifie « ne jamais cesser d'explorer ».” Pour autant, il reconnaît avoir pris la bonne décision et est fier des efforts déployés par les trois alpinistes et des décisions prises.

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Crête nord du sommet du Rupal, annotée par Tiphaine Dupérier

Continuer l'effort à deux

David Goettler fini par quitter le duo d'alpinistes français, qui souhaite se donner une seconde chance pour gravir le sommet et tenter sa descente à ski. 


"Pour Boris et moi, le calendrier ne nous impose pas de retour avant le 21 Juillet. Alors maintenant que nous sommes bien acclimatés, il faut réessayer. David lui, s’envole vers l’Europe. Nous sommes tous les deux, à l’ancienne comme dirait Boris. Dans tous les cas, il ne faudrait pas trop trainer car le réchauffement est à l’œuvre sur le bas de la face et détériore les conditions de ski. Il nous faut une semaine de repos, que la météo cesse d’agir en traître et peut être on pourra dépasser les 7500m. Ce qui n’arrivera pas. 


On s’est bien reposé et on est parti dans ce qu’on pensait être une belle fenêtre météo. Au camp 1, on reçoit les nouvelles prévisions avec dépit. Notre journée du sommet est la pire : du vent, de la neige. Le lendemain nous redescendons au camp de base chargés comme des mulets. Sans cordes fixes la descente est un beau challenge quand les conditions sont dégradées et surtout avec un bon 25kg sur le dos. J’ai le ventre et le cerveau qui font des nœuds, j’ai l’impression d’avoir fait le mauvais choix, qu’en fait il va faire beau et que nous serons en bas à nous en mordre les doigts jusqu’au sang."

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Crédit : Boris Langenstein
Alpinisme Nanga Parbat Tiphaine Dupérier

Quelques jours après son retour, Tiphaine Dupérier prend le recul nécessaire sur cette nouvelle expédition et ne s'avoue pas vaincue.  

"Hasard ? Stratégie ? Le hasard météorologique ne se maîtrise pas, mais la stratégie se travaille. D’une manière générale le temps s’est révélé capricieux au Pakistan cette année. La partie n’est pas finie et tous mes pions sont en place pour le prochain tour. Il me reste à peaufiner ma stratégie et faire un six l’année prochaine."

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Crédit : Boris Langenstein

Nous souhaitons à Tiphaine, Boris, David et leurs prochains compagnons de cordée de réaliser leur rêve et de réussir cette ascension et descente à leur manière, en style alpin, à ski ou en parapente !

Tiphaine Dupérier Alpinisme

Tiphaine Dupérier

La skieuse, Tiphaine est guide en Tarentaise et originaire du Massif des Bauges. Elle se nourrit des sommets de très hautes altitudes qu'elle gravit et descend à ski. 

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